Carnaval et rébellion déguisée:
La Débardeuse
Du 16e siècle à la première guerre mondiale, le Carnaval de Paris enflamme la capitale, chaque année deux mois durant. Nombreux sont alors les bals costumés et autres défilés, parmi lesquels se retrouvent des figures emblématiques, à l’image de Pierrot, Arlequin ou celle qui nous intéresse aujourd’hui: La débardeuse.
Par définition, le débardeur est « Celui qui fait le métier de débarder le bois ou la pierre, qui procède au débardage à quai » Il est un équivalent du terme actuel d’ouvrier.
Son féminin, débardeuse, endosse une toute autre définition (quelque peu péjorative) de « femme du bas-peuple, large d’épaules et forte en voix ».
Les Débardeurs, n°19 par Paul Gavarni.


Le carnaval c’est l’occasion de se parer, se transformer. Revêtir la peau d’un personnage. Travestir son apparence pour apparaître autre et entrer « physiquement » dans des histoires, des fictions. Le costume permet de transgresser les frontières de genres et de classes le temps d’une journée.
Alors pour les femmes, soumises à diverses formalités absurdes en ce qui concerne leurs apparats, l’occasion est toute trouvée pour se jouer des codes. En effet, nous sommes en 1846 et jusqu’au 20e siècle, le port du pantalon est interdit aux femmes. L’ Ordonnance du 7 novembre 1800 « concernant le travestissement des femmes » impose une autorisation délivrée par la police, attestant la nécessité médicale pour porter un tel vêtement…
Physiologie de l’Opéra, du Carnaval, du Cancan et de la Cachucha, par un Vilain Masque, dessins de Henri Emy, 1842.

Couverture de la revue Au Quartier Latin, par Jules Cheret, 1894.
Seule exception à cette règle: le jour de Carnaval ! Revêtir la tenue de débardeuse, apparait comme prémisse d’une rébellion, camouflé derrière ces bals costumés. L’uniforme est constitué d’un débardeur et d’un pantalon masculin, particulièrement moulant, et démesurément opposé au vêtement féminin de l’époque. Il se dégage de ce personnage, un érotisme scandaleux; vu par la gente masculine comme mascarade afin de se jouer des lois. Pas faux. Mais pas bête non plus.

Permission de travestissement, 1862
En 1923, dans son recueil La Forme d’une ville, Julien Gracq parlera de ces femmes comme « silhouettes insolentes, puissamment vulgaires, de débardeuses du plaisir, qui pour un jour envahissaient les rues et se substituaient presque entièrement au peuple gris et noir des femmes encore long-vêtues des premières années. Elles sont restées pour moi le premier appel sexuel vraiment troublant, un appel auquel je ne savais donner encore aucun nom. »

Édouard Manet, Bal masqué à l’Opéra, 1873
Lieu d’éclosion de diverses libérations (à l’image des bals masqués, aux moeurs sexuelles débridées…), le Carnaval de Paris, malgré sa popularité, ne retrouvera jamais son aura d’antan après la guerre.
clara riff