de ginsburg à gainsbarre

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De Ginsburg à Gainsbarre

Nous sommes le 2 Mars 1991, le célèbre jingle retentit sur les ondes d’RTL.

« Émotion en ce jour, le père de la Javanaise, Serge Gainsbourg est mort hier, peu avant minuit »

Tantôt auteur, ou chanteur, timide puis provocateur, Gainsbourg c’est le charme dans la laideur, les effluves d’eau de Cologne dans les vapeurs de Gitane. Tantôt Ginsburg, Gainsbourg, Gainsbarre. Retour sur une figure de proue de la mode, qui aura accompagné les mutations esthétiques de la société française.

 

1950, Lucien Ginsburg c’est cet étudiant à l’académie de peinture de Montmartre, les cheveux plaqués et le look tiré à quatre épingles. Également pianiste dans des cabarets, il est l’archétype de la mode rive gauche. Il mise sur la sobriété et l’élégance du musicien, une chemise blanche, un costume gris, des chaussures noires impeccablement vernies, le tout sublimé par une cravate bien nouée. 

Il est cet homme discret et timide, perdu dans un physique atypique qui lui vaudra le surnom de l’Homme à la tête de chou. Emmailloté dans son costume trois-pièces, cet uniforme reflète la fébrilité de notre futur Serge, cherchant sa place dans un milieu aventureux. 

Serge Gainsbourg par Louis Joyeux, 1959
1968, Anonyme

 

1960, Lucien Ginsburg devient Serge Gainsbourg. « Lucien commençait à me gonfler, ça faisait coiffeur » confiera-t-il. Les influences britanniques du swinging London lui offrent le trench-coat, les costumes de laine ou de velours. La chemise se déboutonne et les cheveux s’ébouriffent, à l’image d’une attitude plus désinvolte. Gainsbourg s’éloigne peu à peu du gendre idéal, laissant place à une nonchalance controlée, prémices des futures années érotiques et de son duo sensuel avec Brigitte Bardot. 

Bardot et Gainsbourg, P.Habans 1968
Par J.Birkin et S.Gainsbourg par Ian Berry, 1970

1970, la révolution sexuelle arrive en France et la capitale voit naitre un couple qui, encore aujourd’hui fascine. Jane et Serge, la belle et la bête, icônes d’une époque aux moeurs débridées, créateurs du mythe parisien, de l’élégance je-m’en-foutiste de la rive gauche. Les influences british du rock’n’roll déboutonnent un peu plus encore les chemises blanches de Gainsbourg, laissant entrevoir une chaine en argent; les manches sont retroussées ou entrouvertes sur une montre Breitling. L’ensemble est nonchalamment rentré dans un pantalon droit à fines rayures, assorti d’une veste à double boutonnage et occasionnellement terminé d’un carré de soie Hermès. 

 

Octobre 1969, AFP Ralph Gatti

A ses pieds, une paire de Richelieu Zizi blanches de la maison Repetto qu’il ne quittera plus. L’histoire raconte que c’est Jane Birkin qui lui aurait offert sa première paire, chinée lors d’un destockage. En s’appropriant le modèle il devient un véritable ambassadeur de la maison, et de la chaussure elle-même.

Le Richelieu Zizi blanc Repetto, Rue de Verneuil 1979
Gainsbourg par Rénald Destrez, 1982
1985, AFP

 

1980, Gainsbarre, sorte d’alter-égo maléfico-crado prend le dessus sur Gainsbourg. Gainsbarre provoque, boit trop, s’enfume. Ses yeux sont cernés, ses cheveux mal coiffés, sa barbe mal rasée encadre un visage à la mine défaite. Jane Birkin part, lassée de ce personnage théâtral qui semble engloutir Serge. Le dandy de king’s road laisse place au rockeur nicotiné, qui ne jure plus que par des pièces en denim. Chemises, perfecto, pantalons, le jean est délavé, taché, troué, signé Levi’s ou Lee Cooper. Le coeur et le corps usés par les excès, il se rebelle, il s’en fout. 

Cette apparence débraillée, c’est celle qu’il gardera jusqu’à sa mort, le 2 mars 1991. 

L’allure Gainsbourg c’est la synergie entre cette élégance négligée et ce personnage à la nonchalance travaillée. Tout est lié, de son noeud de cravate défait, à sa voix éraillée. De ses Richelieu immaculées à la cendre de ses cigarettes tombant sur sa chemise en chambray. C’est une attitude plus qu’un style. 

À l’image de Jacquemus et son aura Marseillaise, il semble être le rayonnement des soirées Bains-Douche, du Paris déluré. Un équivalent masculin du mythe de la Parisienne, ayant pour figure de proue (ni plus, ni moins), notre belle Jane Birkin. 

J.Birkin et S.Gainsbourg par Ian Berry, 1970

clara riff